Sous ses pas, la route défilait, solitaire, douloureuse pour l’âme comme pour le corps. Ishtar Kimberley avait le sentiment qu’elle était partie hier, alors que cela faisait de nombreuses années qu’elle avait délaissée le royaume de ses premières rapines. Elle revoyait encore le paysan qui la chassait de son champ, une brassée de légumes dans les bras. Elle entendait encore les cris du marchand à qui elle avait dérobée une pomme. Elle se remémorait les braillements d’un passant qu’elle avait dérobée et qui s’était apperçu au moment de payer qu’il n’avait plus de bourse. Cette vie, elle avait continué en dehors de Pergrande, même alors qu’elle avait trouvé un travail honnête. Mais en Pergrande, il y avait un parfum différent. Celui de l’enfance, des premiers pas, des premières erreurs, des premiers succès. Ses voyages avaient repris de plus belle depuis qu’elle y était revenue, et c’est sur une route qui la ménerait en le pays de Bellum qu’elle croisa une femme endormie sous un arbre, alors que ses pensées étaient tournées sur la meilleure façon de remplir ses poches et ne pas faire tout le voyage à pied. Il n’y eut pas un doute à son esprit : sa richesse serait sienne.
Ishtar se détourna du chemin, gagnant le près, foulant l’herbe verte d’un pas de louve. Sa démarche était légère, subtile. Elle avait appris cela bien avant de voler, bien avant de manier la magie. Les elfes étaient de ces espèces qui vivaient parmi les bois, parmi les animaux et quiconque désirait approcher un animal sauvage devait savoir se faire aussi discret que le vent. L’elfe était calme, son visage dissimulé sous un foulard de soie verte éclairé d’un sourire, ses cheveux cachées sous la capuche d’une cape de laine, camouflant un peu plus encore ses traits mais n’aidant en rien à dissimuler ce que sa tenue dévoilée de son corps. La voleuse s’arrêta à courte distance de sa cible, observa, écouta. Naïve la femme dormait. Naïve, elle ne s’attendait pas à ce que ses richesses ne soient menacées ici, à l’écart d’un village sans grande importance. L’elfe se retrouva un genou à terre et ses mains parcoururent le corps offert à sa cupidité, à son désir, lui enseignant en plus des biens à soustraire la douceur que ce corps possédait. Il avait après tout des formes bien agréables et nulle ne lui reprocherait de profiter de sa fouille pour palper sans décence avec la douceur d’une feuille d’arbre agitée par le vent. Ishtar cherchait un porte monnaie, un bijou… Partout où elle même en aurait dissimulé sur elle, ce qui voulait dire partout.
Pourtant elle avait beau être concentrée sur sa tâche, une pensée ne venait pas moins l’effleurer : qui volait elle ? Etait ce une grande sorcière ou une criminelle ? Une belle, délicieuse, charmante humaine s’était tout ce qu’elle savait d’elle. Une fois son or prélevé, peut être fuirait elle pour la retrouver, désemparée, et laisser sa curiosité être satisfaite, non sans payer un verre avec l’argent durement acquis par sa légitime propriétaire. C’était là un petit tour qui ne lui était pas étranger et dont elle savourait l’ironie à chaque fois. Sauf une fois où elle oublia de changer le contenant et agita le porte monnaie de celle qu’elle avait volée sous son nez. Une erreur de débutante, qui lui valut d’être poursuivie. Mais c’était il y a bien longtemps.
Ishtar leva les yeux sur la branche de l’arbre qui les dominait, un jeune oiseau avait attiré son attention, une fraction de seconde. C’était un moineau. Et il la regardait elle qui, si elle avait été vêtue de plumes, aurait été une pie. La vie semblait si normal, et pourtant plus rien n’était comme avant. La vie était tellement plus simple deux siècles plus tôt… Mais revenir chez elle n’était qu’un rêve… Elle n’était plus la bienvenue là bas. Du moins le croyait elle...
C'est en pleine nature, dans le grand royaume de Pergrande, et sous un arbre, qu'Ultear avait choisi de s'assoupir. Elle était épuisée, surtout après des passages multiples ces derniers jours dans les plus grandes villes du pays pour engranger des informations, ainsi qu'enquêter sur des agissements suspects et récents qui auraient pu se manifester. Elle devrait rejoindre Meldy et les autres d'ici quelques temps pour centraliser leurs renseignements. Il était courant pour les membres de la Crime Sorcière de procéder ainsi, car il leur était impossible de partir à la chasse aux guildes noires si ils n'avaient aucune info. Pergrande était si vaste qu'il fallait s'éparpiller et surtout faire attention, même si tout le monde ne partait pas non plus. Certains pouvaient soit être en mission, soit se reposaient et gardaient le campement qu'ils avaient provisoirement établi. Mais voilà, le fait est qu'Ultear était épuisée par ses derniers jours où elle s'était peu reposée. Même si elle avait l'habitude, il lui fallait quand même quelques heures de sommeil réparateur de temps en temps ! Elle restait humaine après tout, malgré les actes inhumains qu'elle avait perpétré au cours de sa vie.
Elle était donc assoupie depuis un moment déjà, et faisait sans en être consciente un rêve dont elle ne se rappellerait probablement pas à son réveil. A l'extérieur, dans la réalité, quelque chose commençait à la toucher un peu partout. Au sein de ses songes, elle était en présence de Jellal et Kazuki au campement de la guilde, seule avec ses deux camarades. Quand tout d'un coup, ils s'approchèrent d'elle, et alors les choses prirent une tournure lubrique et dérangeante. Ultear rougit et se mit presque à bégayer en leur demandant ce qui les prenait, ne s'attendant pas à une telle entreprise de la part de ses partenaires de guilde. Et puis, alors que le rêve devenait interdit aux moins de 18 ans, elle se réveilla en ouvrant subitement les yeux. Elle tomba nez à nez avec la vision du corps d'une femme qui était près d'elle, les mains posées sur son corps, qui s'étaient glissées sous ses vêtements. Elle repoussa subitement la profiteuse avec ses paumes, qu'elle avait assénées en plein sur la poitrine de celle qui venait de l'attoucher. Alors, elle se rappela de son rêve et se mit à rougir, avant de s'écrier :
- Qu'est-ce que ?
Elle tâta ses poches précipitamment, se rendant compte que sa bourse de jewels n'était plus là. Elle se releva devant la jeune femme qu'elle avait poussée sans prévenir et qui était vraisemblablement tombée à la renverse, lui jetant un regard assassin. Elle lui avait clairement fait les poches. Ultear reprit son calme en soufflant sans détacher ses yeux de la femme. Une brune avec des oreilles d'elfes. Une race qui habitait Pergrande, comme tout le monde le savait. Il était donc normal d'en croiser, surtout ici.
- Rends-moi mon argent, dit-elle calmement avec toutefois une pointe de froideur peu dissimulée dans sa voix.
Elle récupérerait son argent puis s'offusquerait ensuite de s'être faite tripoter dans son sommeil.
Le profond sommeil dans lequel l’elfe avait cru emprisonné sa victime n’était pas si profond que cela car la demoiselle se réveillait et se débattait contre cette intrusion tactile sous ses vêtements. Passé la surprise et la gêne de sentir des mains non invitées écraser sa propre poitrine, Ishtar s’écarta, évaluant en un instant ses opportunités de fuite et, vu l’absence de reliefs pour disparaître aisément décida de commencer par un petit elixir de mensonges et demi-vérités pour semer le doute et gagner du temps. Mieux valait ne pas trop plaisanter avec des étrangères… Elles n’avaient pas toute le don de se lever du bon pied.
« Votre argent ? Je suis navrée, je ne l’ai pas en ma possession. » en soit, ce n’était pas totalement faux. Ce qui avait été volé, changé de mains, de propriétaire quoi qu’en dise les hommes de lois, qu’Ishtar évitait comme la peste. Elle la regarda de bas en haut, alors qu’elle avait pourtant eu tout le loisir de regarder cette femme avant de passer à l’action et ne put s’empêcher de noter qu’elle n’était décidément pas désagréable mais surtout elle n’était pas naïve. Son regard, cette pointe froide dans sa voix… Mauvaise proie. Mais c’était un bon jour, ensoleillé, agréablement tempéré… Il y avait encore de l’espoir ! Et puis elle dormait sous un arbre et c’était un atout pour une elfe… Disait on… Même si Ishtar était persuadé que le crétin qui avait déclaré un jour que les plantes étaient les amis des elfes en toute circonstance n’était qu’un crétin qui ne savait pas de quoi il parlait.
« Je marchais vers le nord quand je vous ai vu là quelque peu… Hum disons la mise défaite. Et lorsque l’on a autant voyagé que moi… L’on sait que ce peu être le signe d’une agression… »
Encore une fois, dans sa bouche ce n’était pas un véritable mensonge. Ishtar n’aimait après tout pas trop mentir. Elle considérait que la vérité était toujours plus crédible, et que perdre ses interlocuteurs dans des considérations plus ou moins confuses valaient bien mieux. Ils y croyaient plus facilement. Evidemment, dans ce cas précis, le vol risquait fort de se révéler et sa vérité devenir une ignoble tentative d’échapper aux conséquences, si cette femme se mettait à fouiller.
« Croyez bien que j’en ai vu des gens agoniser aux bords des routes... » . Cette fois, il n’y avait pas plus vraie. Elle était parfaitement sincère, tout comme l’élan de sombre tristesse qui traversa son regard. Les cadavres et mourants qui avaient croisés son chemin étaient bien trop nombreux pour qu’elle se souvienne de tous. « Et je ne faisais que m’assurer que vous n’en seriez pas un de plus. »
Derrière son air d’innocence et ses paroles qui sonnaient justes malgré le fait que beaucoup tenait du rôle de comédienne, Ishtar n’était guère à son aise. Elle ne l’était jamais quand elle se faisait prendre et autant dans une ville peu de mages osaient frapper de toutes leurs forces, de peur de blesser un passant, autant ici… Elle avait tout à craindre. C’est donc avec précaution qu’elle commença à rassembler sa magie, s’apprêtant à libérer aussi rapidement qu’il lui était permis, l’un de ses sorts préférés : le parfumdu bois endormi, afin d’endormir de nouveau sa victime et prendre la poudre d’escampette. Un peu d’agilité (et cela elle en avait à revendre) suffirait à lui faire gagner le temps nécessaire et comme une odeur de fleur en pleine nature n’était pas aisée à remarquer à temps, cela devait et pouvait fonctionner. A moins de jouer d’une sacrée poisse et d’être tombée sur la seule magicienne violente et anaérobique.
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